mardi 30 décembre 2008

Le Monde Diplomatique (fr) Dossier - Qui sont les anarchistes ? illustré par les oeuvres de l'artiste polynésien Paskua



Date Sun, 28 Dec 2008 17:06:59 +0100 (CET)



Le prochain numéro du « Monde diplomatique » (janvier 2009, en vente en
kiosques : 4,50 euros), contiendra un dossier de cinq pages : « Qui
sont les anarchistes ? », illustré par des oeuvres de Paskua.


Au sommaire de ce dossier :
? « Appellations peu contrôlées », par Jean-Pierre Garnier ;
? « Une indocilité contagieuse », par Claire Auzias ;
? « CNT, les clés de l?énigme espagnole», par Angel Herrerín López ;
? « En Extrême-Orient aussi? », par Cho Se-hyun ;
? « L?infréquentable Pierre-Joseph Proudhon », par Edward Castleton ;
? « Honte au suffrage universel ! », texte inédit de Proudhon.
Ces textes seront disponibles en accès libre sur le site Internet du « Monde
diplomatique » (http://www.monde-diplomatique.fr) début mars 2009.

En revanche, dès les premiers jours de janvier, pourront être lus sur le site
Internet du « Monde diplomatique » (http://www.monde-diplomatique.fr) les textes
suivants :
? « Une tradition révolutionnaire et philosophique », par Daniel Colson ;
? « L?écologie anarchiste d?Elisée Reclus », par Philippe Pelletier.

Premier Festival mondial de la digne rage L’autre politique, celle de la digne rage

Premier Festival mondial de la digne rage

L’autre politique, celle de la digne rage

John Holloway
mardi 30 décembre 2008.

L’autre politique, celle de la digne rage

1. Rage, rage, rage.

Rage comme celle des jeunes en Grèce dans les dernières semaines. Rage face à la violence de la police, rage face aux bas salaires et au manque de chances de s’en sortir.

Rage aujourd’hui face au massacre des Palestiniens par l’armée israélienne à Gaza. Rage face aux cinq ans de tuerie et de destruction en Irak.

Rage, rage ici, tous les jours. Rage face à la répression d’Atenco et aux cent douze ans de prison infligés à Ignacio del Valle. Rage face au viol des compañeras qui luttent pour une vie digne. Rage face à la violence quotidienne de la police. Rage face à la destruction des forêts. Rage face au racisme, rage face au fossé obscène entre les revenus des riches et la misère des pauvres, rage face à l’arrogance des puissants. Rage parce qu’ils sont en train de transformer un pays magnifique en un pays pourri, un pays où vivre, c’est vivre dans la peur.

Rage parce que ce n’est pas seulement le Mexique, mais le monde entier qui pourrit, qu’on est en train de détruire. Rage parce que nous vivons dans un monde fondé sur la négation de l’humanité, la négation de la dignité. Rage parce que la seule façon de survivre est de se vendre. Rage parce que la crise de ce système se traduit par plus de pauvreté, plus de violence, plus de frustration.

2. Rage, rage, rage. La rage brise. La rage brise la victime. Avant l’explosion de rage nous sommes victimes, victimes du système capitaliste. Tout ce que nous pouvons faire en tant que victimes c’est de souffrir, de demander des changements, de formuler des revendications. En tant que victimes, nous avons besoin d’un leader, d’un parti. En tant que victimes nous espérons un changement dans le futur, une révolution dans le futur.

Par le cri de rage nous rompons avec ça, nous disons : « Non, nous ne sommes pas des victimes, nous sommes des humains, ça suffit de vivre comme ça, ça suffit de souffrir ! Nous n’allons plus rien demander à personne, nous n’allons plus formuler de revendications, nous n’allons plus attendre la révolution dans le futur, parce que le futur n’en finit pas d’arriver. Nous allons changer les choses ici et maintenant. »

Rage, digne rage. La rage anticapitaliste est une digne rage, parce qu’elle rompt avec la condition de victime, parce qu’elle porte déjà le désir d’autre chose, d’un monde différent, parce que derrière les cris et les barricades il y a autre chose, la construction d’autres rapports sociaux, la création d’une autre façon de faire, d’une autre façon d’aimer.

3. La rage est le seuil de la dignité. Mais la rage seule n’est pas suffisante parce qu’elle ne crée pas encore les fondations d’un autre monde, qu’elle ne crée pas encore la base pour résister à la réintégration au capitalisme. Elle ouvre la porte à une politique radicalement autre, à une façon de faire radicalement différente, mais le plein développement de la digne rage ne signifie pas seulement le cri de « Non, nous n’acceptons pas, nous ne nous soumettons pas ». C’est aussi le « Nous allons faire autre chose, nous allons vivre d’une manière qui ne colle pas avec le capital. Nous luttons contre le capitalisme non seulement avec des manifestations et des pierres mais aussi (et peut-être surtout) en construisant autre chose. Nous luttons contre le capitalisme en vivant le monde que nous voulons créer. »

Ça suffit ! Ça suffit de vivre comme ça, de créer tous les jours un système qui est en train de nous tuer. Mais derrière le ¡Ya basta ! zapatiste, il y a autre chose, sans lequel le zapatisme n’aurait pas la force qu’il a. Derrière l’urgence du ¡Ya basta ! il y a une autre temporalité, la temporalité du « Marchons, ne courons pas, parce que nous allons très loin ». Le noyau du zapatisme, c’est la construction patiente d’un autre monde, la création ici et maintenant d’autres rapports sociaux. Les communautés zapatistes du Chiapas luttent contre le capitalisme en vivant le monde qu’elles veulent (et que nous voulons) créer. Elles luttent contre le capitalisme en allant au-delà du capitalisme. C’est ça, la digne rage.

Les zapatistes ne sont pas les seuls, évidemment. La digne rage existe partout. Elle existe dans tous les lieux et tous les moments où les gens disent « Non, nous n’allons pas accepter la domination du capital, ou de l’argent, nous allons faire autre chose ». Parfois c’est sur le Non qu’on met l’accent, parfois, c’est sur la construction d’autre chose. Parfois, c’est la rage qui s’exprime le plus clairement, parfois c’est la dignité, mais il importe de reconnaître l’unité, les lignes de continuité entre les deux types de lutte. C’est pourquoi la tolérance, l’antisectarisme doit être l’élément central de n’importe quelle politique de la digne rage. Nous voulons rassembler les deux aspects, la rage et la dignité, et la seule façon de le faire est de respecter les différentes formes de lutte.

4. La dignité n’est pas la dignité des victimes, mais celle des sujets actifs (et des sujettes actives). La politique de la digne rage, c’est-à-dire l’autre politique, est un cheminement qui laisse en arrière la politique des victimes, la politique des revendications, la politique des constantes dénonciations, la politique de leaders, de partis et d’État. La digne rage nous met au centre. Nous, hommes et femmes, créons le monde avec notre créativité, notre activité. C’est nous aussi qui créons le capitalisme qui nous tue : c’est pour cela que nous savons que nous pouvons arrêter de le créer. C’est aussi nous, hommes et femmes, qui créons la crise actuelle du capitalisme, ou plutôt c’est nous qui sommes la crise du capitalisme.

Il est important d’insister là-dessus parce que la crise constitue une menace très sérieuse pour l’autre politique. La crise nous tire vers la vieille politique de la gauche, vers la politique de la victime, la politique des revendications.

Il y a essentiellement deux façons de parler de la crise. La façon la plus évidente est de rejeter la faute sur les capitalistes et le capitalisme. La crise est la démonstration de l’échec du capitalisme. Il nous faut une révolution. Il faut faire la révolution de la façon la plus efficace possible. Et pendant ce temps, nous devons demander plus d’emploi, plus de dépenses sociales, des subventions pour les pauvres et non pour les riches. La compréhension de la crise comme leur crise à eux nous ramène à la politique de la victime, des revendications, de la révolution future.

L’autre façon, c’est de dire que non, ce n’est pas comme ça : c’est nous les responsables de la crise, et ce n’est pas que nous ayons à faire la révolution, car nous sommes déjà en train de la faire, et la crise est l’expression visible du fait que nous sommes en train de la faire. Le capitalisme est un système de domination, de subordination. Et de surcroît, il dépend d’une subordination toujours plus absolue de la vie au travail aliéné. S’il ne parvient pas à imposer cette subordination totale, il entre en crise ouverte.

Nous, hommes et femmes, nous sommes les insubordonnés, nous sommes la crise du capital. La grande crise de 29 a été le résultat de la vague d’insubordination qui s’est exprimée dans la révolution russe. La crise d’aujourd’hui est le résultat des vagues d’insubordination des quarante dernières années. La crise dans les deux cas est une crise masquée, masquée par l’expansion du crédit qui cache le lien entre l’insubordination et ses conséquences et donne à la crise de production l’apparence d’une crise financière. L’expansion du crédit est une sorte de pari sur l’exploitation future du travail, c’est-à-dire sur la subordination future de notre activité, un pari que le capital est en train de perdre. Nous sommes l’insubordination qui est la crise du capital, et nous n’allons pas nous subordonner.

Il vaut mieux assumer notre responsabilité. Ça nous aide à comprendre notre force : nous ne sommes pas les éternels perdants ; notre rébellion, notre insubordination, notre dignité sont en train de secouer le système. La crise du capital est l’expression de la force de notre dignité. Alors il ne faut pas regarder la crise comme l’écroulement du capitalisme, mais comme l’éruption de notre dignité, la naissance d’autre chose, d’autres rapports sociaux, des rapports sociaux fondés sur la dignité, sur la digne rage.

Le défi de l’autre politique est de renforcer ce processus, cette création d’un autre monde. Il ne peut être question de demander plus d’emploi ou plus d’État, parce que ceux-ci signifient le renouvellement de la subordination au capital. Nous ne demandons rien à personne, nous développons plutôt ici et maintenant l’insubordination créative, en étendant le plus que nous le pouvons les moments et les espaces où nous disons : « Nous n’allons pas nous subordonner aux injonctions du capital, nous allons faire autre chose, nous allons encourager l’aide mutuelle, la coopération, la création, contre le capital. » Ce n’est pas facile, ce n’est pas évident, mais c’est la direction dans laquelle il nous faut marcher, explorer. Avec rage, mais avec une rage qui ouvre d’autres perspectives, qui crée d’autres choses, une digne rage.

C’est en (se) posant des questions qu’on avance.

John Holloway

Mexico, Iztapalapa, Lienzo Charro, le 28 décembre 2008.

Traduit par el Viejo.

dimanche 28 décembre 2008

Alerte Crise Systémique Globale - Eté 2009 : Cessation de paiement du gouvernement américain


Alerte Crise Systémique Globale - Eté 2009 : Cessation de paiement du gouvernement américain
- Communiqué public GEAB N°28 (15 octobre 2008) -
15/10/2008


A l’occasion de la parution du GEAB N°28, LEAP/E2020 a décidé de lancer une nouvelle alerte dans le cadre de la crise systémique globale car nos chercheurs estiment qu’à l’été 2009, le gouvernement américain sera en cessation de paiement et ne pourra donc pas rembourser ses créditeurs (détenteurs de Bons du Trésor US, de titres de Fanny Mae et Freddy Mac, etc.). Cette situation de banqueroute aura bien évidemment des conséquences très négatives pour l’ensemble des propriétaires d’actifs libellés en dollars US. Selon notre équipe, la période qui s’ouvrira alors deviendra propice à la mise en place d’un « nouveau Dollar » destiné à remédier brutalement au problème de la cessation de paiement et de la fuite massive de capitaux hors des Etats-Unis. Ce processus découlera des cinq facteurs suivants qui sont analysés plus en détail dans le GEAB N°28 :

1. L’évolution récente, à la hausse, du Dollar US est une conséquence directe et provisoire de la chute des bourses mondiales

2. Le « baptême politique » de l’Euro vient juste d’avoir lieu donnant une alternative « de crise » au Dollar US, en tant que « valeur-refuge » crédible

3. La dette publique américaine s’enfle de manière désormais incontrôlable

4. L’effondrement en cours de l’économie réelle des Etats-Unis empêche toute solution alternative à la cessation de paiement

5. « Forte inflation ou hyper-inflation aux Etats-Unis en 2009 », là est la seule question.

Mais on peut déjà se faire une idée de l’évolution à venir en regardant l’Islande que notre équipe suit à la loupe depuis début 2006. Ce pays constitue en effet un bon exemple de ce qui attend les Etats-Unis, et également le Royaume-Uni. On peut considérer, comme d’ailleurs bon nombre d’Islandais aujourd’hui, que l’effondrement du système financier islandais est venu du fait qu’il était surdimensionné par rapport à la taille de l’économie du pays.

Evolution de l’inflation en Islande 2003-2008 - Source Banque centrale d’Islande

L’Islande s’est en fait prise en matière financière pour le Royaume-Uni [1]. Comme le Royaume-Uni en matière financière s’est lui-même pris pour les Etats-Unis et que les Etats-Unis se sont pris pour la planète entière, il n’est pas inutile de méditer le précédent islandais [2] pour appréhender le cours des évènements des douze prochains mois à Londres et Washington [3].

Nous assistons en effet actuellement à un double phénomène historique :

. d’une part, depuis le mois de Septembre 2008 (comme annoncé dans le GEAB N°22 de Février 2008), l’ensemble de la planète est désormais conscient de l’existence d’une crise systémique globale caractérisée par un effondrement du système financier américain et sa contagion au reste de la planète.

. d’autre part, un nombre croissant d’acteurs mondiaux entreprennent d’agir par eux-mêmes devant l’inefficacité des mesures préconisées ou prises par les Etats-Unis, pourtant centre du système financier mondial depuis des décennies. L’exemple du 1° Sommet de l’Euroland (ou Eurozone), qui s’est tenu Dimanche 12 octobre 2008 et dont les décisions, par leur ampleur (près de 1.700 milliards EUR) et leur nature [4], ont permis un retour de confiance sur les marchés financiers de toute la planète, est à ce titre tout-à-fait exemplaire du « monde d’après-Septembre 2008 ».

Carte des garanties de dépôts bancaires dans l’Union européenne Source AFP - 09/10/2008

Car il y a bien un « monde de l’après-Septembre 2008 ». Pour notre équipe, il est désormais évident que ce mois restera dans les livres d’histoire de l’ensemble de la planète comme celui « datant » le déclenchement de la crise systémique globale ; même s’il ne s’agit en fait que de la phase de « décantation », la dernière des quatre phases de cette crise identifiée dès Juin 2006 par LEAP/E2020 [5]. Comme toujours quand il s’agit de grands ensembles humains, la perception du changement par le plus grand nombre n’intervient que lorsque le changement est en fait déjà bien engagé.

En l’occurrence, Septembre 2008 marque l’explosion majeure du « détonateur financier » de la crise systémique globale. Selon LEAP/E2020, ce second semestre 2008 est en effet le moment où « le monde plonge au cœur de la phase d’impact de la crise systémique globale » [6]. Ce qui veut dire pour nos chercheurs qu’à la fin de ce semestre, le monde entre dans la phase dite de « décantation » de la crise, c’est-à-dire la phase où l’on voit les conséquences du choc se mettre en place. C’est de facto la phase la plus longue de la crise (entre trois et dix ans selon les pays) et celle qui va affecter directement le plus grand nombre de personnes et de pays. C’est l’étape qui va voir également se dégager les composantes des nouveaux équilibres mondiaux dont LEAP/E2020 présente deux premières illustrations graphiques dans ce GEAB N°28 [7].

Ainsi, comme nous l’avons répété à plusieurs reprises depuis 2006, cette crise est beaucoup plus importante, en termes d’impact et de conséquences, que celle de 1929. Historiquement, nous sommes tous les premiers acteurs, témoins et/ou victimes d’une crise qui affecte toute la planète, avec un degré sans précédent d’interdépendance des pays (du fait de la globalisation de ces vingt dernières années) et des personnes (le degré d’urbanisation, et donc de dépendance pour les besoins de base - eau, nourriture, énergie, ... - est aujourd’hui sans précédent dans l’Histoire). Cependant, le précédent des années 1930 et ses terribles conséquences destructrices semblent à nos chercheurs assez présents dans les mémoires collectives pour nous permettre, si les citoyens sont vigilants et les dirigeants lucides, d’éviter un bis repetita conduisant à une (ou des) conflagration(s) majeure(s).

Europe, Russie, Chine, Japon,... constituent sans aucun doute les acteurs collectifs pouvant d’assurer que l’implosion en cours de la puissance dominante de ces dernières décennies, à savoir les Etats-Unis, ne conduise pas la planète dans une catastrophe. En effet, à l’exception de l’URSS de Gorbatchev, les empires ont tendance à tenter vainement d’inverser le cours de l’Histoire quand ils sentent leur puissance s’effondrer. C’est aux puissances partenaires de canaliser pacifiquement le processus, ainsi qu’aux citoyens et élites du pays concerné de faire preuve de lucidité pour affronter la période très pénible qui se prépare.

Evolution des emprûnts des institutions financières US auprès de la Réserve fédérale américaine (08/01/1986 – 09/10/2008) - Source Federal Reserve Bank of St Louis

La « réparation d’urgence » des canaux financiers internationaux, réalisée avant tout par les pays de la zone Euro en ce début de mois d’Octobre 2008 [8], ne doit pas masquer trois faits essentiels :

. cette « réparation d’urgence », nécessaire pour éviter une panique qui menaçait d’engloutir tout le système financier mondial en quelques semaines, ne traite provisoirement qu’un symptôme. Elle ne fait qu’acheter du temps, deux à trois mois maximum, car la récession globale et l’effondrement de l’économie américaine (le tableau ci-dessus montre ainsi la vertigineuse croissance des fonds prêtés aux banques américaines par la Réserve fédérale) vont s’accélérer et créer de nouvelles tensions économiques, sociales et politiques qu’il faut traiter par anticipation dès le mois prochain (une fois les « paquets financiers » mis en oeuvre)

. même s’il était absolument nécessaire de remettre en marche le système de crédit, les gigantesques moyens financiers consacrés sur toute la planète aux « réparations d’urgence » du système financier mondial seront autant de moyens qui ne pourront pas être mis à disposition de l’économie réelle dans les mois à venir pour faire face à la récession globale

. la « réparation d’urgence » constitue une marginalisation, et donc un affaiblissement supplémentaire des Etats-Unis, puisqu’elle met en place des processus contraires à ceux prônés par Washington pour les 700 Milliards USD du TARP de Hank Paulson et Ben Bernanke : une recapitalisation des banques par les gouvernements (décision qu’Hank Paulson est obligé de suivre maintenant) et une garantie des prêts interbancaires (en fait les gouvernements de l’Euroland se substituent aux assureurs de crédits, une industrie au cœur de la finance mondiale et essentiellement américaine depuis des décennies). Ces évolutions détournent toujours plus de relais décisionnels et de flux financiers hors de l’orbite américaine à un moment où l’économie des Etats-Unis et l’explosion de leur dette publique [9] et privée en auraient plus que jamais besoin ; sans même parler des retraites qui s’envolent en fumée [10].

Le dernier point illustre comment, dans les mois à venir, les solutions à la crise et ses différentes séquences (financière, économique, sociale et politique) vont diverger de plus en plus : ce qui est bon pour le reste du monde ne le sera pas pour les Etats-Unis [11] et désormais, Euroland en tête, le reste du monde semble déterminer à faire ses propres choix.

Le choc brutal que générera la cessation de paiement des Etats-Unis à l’été 2009 est en partie une conséquence de ce découplage décisionnel des grandes économies du monde par rapport aux Etats-Unis. Il est prévisible et peut être amorti si l’ensemble des acteurs commencent dès maintenant à l’anticiper ; c’est d’ailleurs l’un des thèmes développés dans ce GEAB N°28. LEAP/E2020 espère seulement que le choc de Septembre 2008 aura « éduqué » les responsables politiques, économiques et financiers de la planète afin qu’ils comprennent qu’on agit mieux par anticipation que dans l’urgence. Il serait dommage que l’Euroland, l’Asie et les pays producteurs de pétrole, tout comme les citoyens américains d’ailleurs, découvrent brutalement au cours de l’été 2009, à la faveur d’un week-end prolongé ou d’une fermeture administrative des banques et bourses pour plusieurs jours sur le territoire américain, que leurs Bons du Trésor US et leurs Dollars US ne valent plus que 10% de leur valeur car un « nouveau Dollar » vient d’être instauré [12].


[1] L’Islande a adopté depuis plus de 10 ans tous les principes de dérégulation et de financiarisation de l’économie qui ont été développés et mis en œuvre aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Reykjavik était devenu une sorte de « Mini-Me » financier de Londres et Washington, pour reprendre le personnage du film très britannico-américain Austin Powers. Et les trois pays ont entrepris de jouer financièrement à « la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf », pour reprendre la fable de Jean de la Fontaine dont la fin est fatale à la grenouille.

[2] Ainsi la bourse islandaise s’est effondrée de 76% après avoir été fermée quelques jours pour « éviter » la panique ! Source : MarketWatch, 14/10/2008

[3] A ce titre, attardons-nous sur le montant du « paquet financier » annoncé par Londres, soit 640 milliards EUR dont 64 milliards EUR pour recapitaliser les banques et 320 milliards EUR pour renflouer les dettes à moyen terme de ces mêmes banques (source : Financial Times, 09/10/2008). Avec une économie en chute libre à l ’image du marché immobilier, une inflation galopante, des retraites par capitalisation qui s’évanouissent en fumée, et une monnaie au plus bas, à part accroître la dette publique et affaiblir encore plus la Livre, on voit mal comment cela peut « sauver » des banques déjà très mal en point. A la différence des banques des pays de la plupart de la zone Euro, le système financier britannique, comme son homologue américain, est au cœur de la crise, et non pas une victime collatérale. Et Gordon Brown peut bien jouer à Churchill et Roosevelt réunis (Source : Telegraph, 14/10/2008), mais dans sa méconnaissance évidente de l’Histoire, il oublie que ni Churchill ni Roosevelt n’étaient aux commandes de leurs pays depuis 10 ans quand ils ont dû affronter chacun leur « grande crise » (cela vaut d’ailleurs pour les Etats-Unis et l’administration Bush - Paulson et Bernanke inclus - qui viennent tous du « problème » et font donc très peu probablement partis de la « solution »). Sans compter que Roosevelt et Churchill organisaient les sommets comme Yalta ou Téhéran en laissant Français et Allemands à la porte, alors que c’est lui qui a dû rester à la porte du Sommet de l’Euroland.

[4] Source : L’Express, 13/10/2008

[5] Source GEAB N°5, 15/05/2006

[6] Source GEAB N°26, 15/06/2008

[7] LEAP/E2020 présente ainsi une synthèse de ses anticipations sur la phase de décantation de la crise grâce à une carte du monde de l’impact de la crise différenciant entre 6 grands groupes de pays ; ainsi qu’un calendrier anticipatif 2008-2013 des 4 séquences financière, économique, sociale et politique pour chacune de ces régions.

[8] Car c’est bien la zone Euro, l’Euroland, qui a permis d’arrêter la spirale de panique globale. Depuis des semaines, les initiatives américaines et britanniques se sont succédées sans effet. C’est l’irruption d’un nouvel acteur collectif, le « sommet de l’Euroland » et ses décisions d’envergure, qui ont constitué le phénomène nouveau et rassurant. C’est d’ailleurs un nouvel acteur que Washington et Londres ont systématiquement empêché d’émerger depuis le lancement de l’Euro il y a 6 ans. Et il a fallu toute une mise en scène diplomatique (réunion préalable, photo de groupe pré-sommet,... ) pour permettre au Premier Ministre britannique de faire croire qu’il n’était pas marginalisé dans ce processus, alors qu’il n’appartient de facto pas aux sommets de la zone euro. Dans ce GEAB N°28, LEAP/E2020 revient sur ce phénomène et les conséquences systémiques durables de la tenue du 1er sommet de l’Euroland.

[9] Le plan de sauvetage financier américain a déjà accru de 17.000 USD la dette de chaque Américain. Source : CommodityOnline, 06/10/2008

[10] Ce sont en effet 2.000 milliards USD de retraites par capitalisation qui ont disparu en fumée ces dernières semaines aux Etats-Unis. Source : USAToday, 08/10/2008

[11] En tout cas à court terme. Car notre équipe est persuadée que pour le peuple américain, à moyen et long termes, il n’est pas mauvais du tout que le système dominant à Washington et New-York soit fondamentalement remis en cause. C’est en effet ce système qui a plongé ce pays dans les problèmes dramatiques où des dizaines de millions d’Américains se débattent aujourd’hui, comme l’illustre parfaitement cet article du New York Times du 11/10/2008

[12] Même si c’est une mesure de peu d’ampleur par rapport à la perspective de cessation de paiement des Etats-Unis, ceux qui pensent qu’il est temps de réinvestir dans les marchés financiers peuvent trouver utile de savoir que le New York Stock Exchange vient de réviser tous ses seuils d’interruption des cotations pour cause de chute trop forte des cours. Source : NYSE/Euronext, 30/09/2008

Crise systémique globale : Nouveau point d’inflexion en Mars 2009 ’Quand le monde prend conscience que cette crise est pire que celle des années 1930


http://www.europe2020.org/spip.php?rubrique8&lang=fr

Crise systémique globale : Nouveau point d’inflexion en Mars 2009 ’Quand le monde prend conscience que cette crise est pire que celle des années 1930’
- Communiqué public GEAB N°30 (16 décembre 2008) -
16/12/2008


LEAP/E2020 estime que la crise systémique globale connaîtra en Mars 2009 un nouveau point d’inflexion d’une importance analogue à celui de Septembre 2008. Notre équipe considère en effet que cette période de l’année 2009 va être caractérisée par une prise de conscience générale de l’existence de trois processus déstabilisateurs majeurs de l’économie mondiale, à savoir :

1. la prise de conscience de la longue durée de la crise

2. l’explosion du chômage dans le monde entier

3. le risque d’effondrement brutal de l’ensemble des systèmes de pension par capitalisation

Ce point d’inflexion sera ainsi caractérisé par un ensemble de facteurs psychologiques, à savoir la perception générale par les opinions publiques en Europe, en Amérique et en Asie que la crise en cours a échappé au contrôle de toute autorité publique, nationale ou internationale, qu’elle affecte sévèrement toutes les régions du monde même si certaines sont plus affectées que d’autres (voir GEAB N°28), qu’elle touche directement des centaines de millions de personnes dans le monde ’développé’ et qu’elle ne fait qu’empirer au fur et à mesure où les conséquences se font sentir dans l’économie réelle. Les gouvernements nationaux et les institutions internationales n’ont plus qu’un trimestre pour se préparer à cette situation qui est potentiellement porteuse d’un risque majeur de chaos social. Les pays les moins bien équipés pour gérer socialement la montée rapide du chômage et le risque croissant sur les retraites seront les plus déstabilisés par cette prise de conscience des opinions publiques.

Dans ce GEAB N°30, l’équipe de LEAP/E2020 détaille ces trois processus déstabilisateurs (dont deux sont présentés dans ce communiqué public) et présente ses recommandations pour faire face à cette montée des risques. Par ailleurs, ce numéro est aussi comme chaque année l’occasion d’une évaluation objective de la fiabilité des anticipations de LEAP/E2020, qui permet de préciser également certains aspects méthodologiques du processus d’analyse que nous mettons en œuvre. En 2008, le taux de réussite de LEAP/E2020 est de 80%, avec une pointe à 86% pour les anticipations strictement socio-économiques. Pour une année de bouleversements majeurs, c’est un résultat dont nous sommes fiers.

La crise durera au moins jusqu’à la fin 2010

Comme nous l’avons détaillé dans le GEAB N°28, la crise affectera de manière diversifiée les différentes régions du monde. Cependant, et LEAP/E2020 souhaite être très clair sur ce point, contrairement aux discours actuels des mêmes experts qui niaient l’existence d’une crise en gestation il y a trois ans, qui niaient qu’elle soit globale il y a 2 ans et qui niaient il y a seulement six mois qu’elle soit systémique, nous anticipons une durée minimale de trois ans pour cette phase de décantation de la crise [1]. Elle ne sera ni terminée au printemps 2009, ni à l’été 2009, ni au début 2010. C’est seulement vers la fin 2010 que la situation commencera à se stabiliser et s’améliorer un peu dans certaines régions du monde, à savoir l’Asie et la zone Euro, ainsi que pour les pays producteurs de matières premières énergétiques, minérales ou alimentaires [2]. Ailleurs, elle continuera. En particulier aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, et dans les pays les plus liés à ces économies, où elle s’inscrit dans une logique décennale. C’est seulement vers 2018 que ces pays peuvent envisager un retour réel de la croissance.

Par ailleurs, il ne faut pas imaginer que l’amélioration de la fin 2010 marquera un retour à une croissance forte. La convalescence sera longue ; par exemple, les bourses mettront également une décennie à revenir aux niveaux de l’année 2007, si elles y reviennent un jour. Il faut se souvenir que Wall Street mit 20 ans à revenir à ses niveaux de la fin des années 1920. Or, selon LEAP/E2020 cette crise est plus profonde et durable que celle des années 1930. Cette prise de conscience de la longue durée de la crise va progressivement se faire jour dans les opinions publiques au cours du trimestre à venir. Et elle déclenchera immédiatement deux phénomènes porteurs d’instabilité socio-économique : la peur panique du lendemain et la critique renforcée des dirigeants du pays.

Evolution de la base monétaire des Etats-Unis et indication des crises majeures corrélées (1910 – 2008) - Source : Federal Reserve Bank of Saint Louis / Mish’s Global Economic Trends Analysis

Le risque d’effondrement brutal de l’ensemble des systèmes de pension par capitalisation

Enfin, dans le cadre des conséquences de la crise qui affecteront directement des dizaines de millions de personne aux Etats-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, au Japon, aux Pays-Bas et au Danemark en particulier [3], il faut intégrer le fait qu’à partir de cette fin d’année 2008 vont se multiplier les nouvelles concernant les pertes massives des organismes gérant les actifs censés financer ces retraites. L’OCDE estime à 4.000 milliards USD les pertes des fonds de pension pour la seule année 2008 [4]. Aux Pays-Bas [5] comme au Royaume-Uni [6], les organes de surveillance des fonds de pension viennent de lancer des cris d’alarme demandant en urgence un accroissement des cotisations obligatoires et une intervention de l’Etat. Aux Etats-Unis, ce sont des annonces multiples d’augmentation des contributions et de diminution des versements qui sont émises à un rythme croissant [7]. Et c’est seulement dans les semaines à venir que nombre de fonds vont pouvoir faire réellement le décompte de ce qu’ils ont perdu [8]. Beaucoup s’illusionnent encore sur leur capacité à reconstituer leur capital à l’occasion d’une prochaine sortie de crise. En Mars 2009, quand gestionnaires de fonds de pension, retraités et gouvernements vont simultanément prendre conscience que la crise va durer, qu’elle va coïncider avec l’arrivée massive des « babyboomers » à la retraite et que les bourses ont peu de chance de retrouver avant de longues années leurs niveaux de 2007 [9], le chaos va s’installer dans ce secteur et les gouvernements vont se rapprocher de plus en plus de l’obligation d’intervenir pour nationaliser tous ces fonds. L’Argentine, qui a pris cette décision il y a quelques mois apparaîtra alors comme un précurseur.

Ces tendances sont toutes déjà en cours. Leur conjonction et la prise de conscience par les opinions publiques des conséquences qu’elles entraînent constituera le grand choc psychologique mondial du printemps 2009, à savoir que nous sommes tous plongés dans une crise pire que celle de 1929 ; et qu’il n’y a pas de sortie de crise possible à court terme. Cette évolution aura un impact décisif sur la mentalité collective mondiale des peuples et des décideurs et modifiera donc considérablement le processus de déroulement de la crise dans la période qui suivra. Avec plus de désillusions et moins de certitudes, l’instabilité socio-politique globale va s’accroître considérablement.

Enfin, ce GEAB N°30 présente également une série de 13 questions/réponses afin d’aider de manière quasi-interactive les épargnants/investisseurs/décideurs à mieux comprendre et anticiper les développements à venir de la crise systémique globale :

1. Cette crise est-elle différente des crises ayant précédemment affecté le capitalisme ?

2. Cette crise est-elle différente de la crise des années 1930 ?

3. La crise est-elle aussi grave en Europe et en Asie qu’aux Etats-Unis ?

4. Les mesures entreprises actuellement par les Etats du monde entier sont-elles suffisantes pour juguler la crise ?

5. Quels risques majeurs pèsent toujours sur le système financière international ? Et toutes les épargnes sont-elles égales face à la crise ?

6. La zone Euro constitue-t-elle une vraie protection contre les pires aspects de la crise et que pourrait-elle faire pour améliorer ce statut ?

7. Le système de Bretton Woods (sous sa dernière version des années 1970) est-il en train de s’effondrer ? L’Euro doit-il remplacer le Dollar ?

8. Que peut-on espérer du prochain G20 de Londres ?

9. Pensez-vous que la déflation soit actuellement la plus grande menace planant sur les économies mondiales ?

10. Pensez-vous que le gouvernement Obama sera en mesure d’empêcher les Etats Unis de sombrer dans ce que vous avez appelé la “Très Grande Dépression Américaine” ?

11. En termes de monnaies, au-delà de votre anticipation concernant la reprise de la chute du Dollar US dans les tout prochains mois, pensez-vous que la Livre Sterling et le Franc Suisse soient toujours des monnaies de statut international ?

12. Pensez-vous que le marché des CDS soit sur le point d’imploser ? Et quelles seraient les conséquences d’un tel phénomène ?

13. La “bulle des Bons de Trésor US » est-elle sur le point d’exploser ?



[1] Il est utile de lire au sujet de cette crise une très intéressante contribution de Robert Guttmann publiée au 2° semestre 2008 sur le site Revues.org, soutenu par la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord.

[2] D’ailleurs ce sont les matières premières qui commencent à déjà relancer le marché du transport maritime international. Source : Financial Times, 14/12/2008

[3] Puisque ce sont les pays qui ont le plus développé les systèmes de retraite par capitalisation. Voir GEAB N°23. Mais c’est aussi le cas de l’Irlande. Source : Independent, 30/11/2008

[4] Source : OCDE, 12/11/2008

[5] Source : NU.NL, 15/12/2008

[6] Source : BBC, 09/12/2008

[7] Sources : WallStreetJournal, 17/11/2008 ; Phillyburbs, 25/11/2008 ; RockyMountainNews, 19/11/2008

[8] Source : CNBC, 05/12/2008

[9] Et nous ne mentionnons même pas l’influence de l’explosion de la bulle des Bons du Trésor US qui affectera également brutalement les fonds de pension. Voir Q&A, GEAB N°30.